Pourquoi est-ce important : quels sont les enjeux territoriaux du sujet ?

L’approche par le paysage est fédératrice, particulièrement en matière de transition écologique. Elle permet une vision d’ensemble des singularités d’un territoire et une mise en œuvre coordonnée des différentes politiques concourant à la transition : urbanisme, énergie, prévention des risques, agriculture, forêt, biodiversité…

L’approche par le paysage est aussi facilitatrice en termes de participation citoyenne. Elle permet de  formuler des connaissances ou des appréciations sur le paysage ne demande aucun pré-requis technique et permet d’améliorer la richesse des projets.

Enfin, elle trace la perspective d’un espace de vie conciliant qualité fonctionnelle et qualité d’usages, adapté au contexte local, promoteur d’harmonie, de bien-être et de bien vivre ensemble : préservation des patrimoines naturels et historiques et de la lisibilité géographique de nos espaces de vie ; économie des ressources fossiles, promotion d’énergies renouvelables, végétalisation des espaces et équipements publics (écoles…) dans l’objectif d’un développement à la fois durable et diversifié de chacun de nos territoires.

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Le paysage : préciser sa définition et identifier ses enjeux


Dépasser les idées reçues

Le paysage fait l’objet d’un nombre important de préjugés qui tendent à minorer son importance :

  • Il est souvent réduit à un simple décor, support passif et indifférencié pour l’implantation d’équipements…
  • Il est également confondu, à l’inverse, avec la mise sous cloche d’une carte postale figée.
  • Il est enfin réduit à une simple composition végétale pour accompagner des bâtiments, équipements et infrastructures.

Toute première approche de l’Environnement, apparue au milieu du 19è siècle, la question du paysage a d’abord concerné la protection des « monuments naturels », puis les paysages les plus emblématiques (les sites classés : lois de 1906, puis 1930 : 3% du territoire aujourd’hui).

Une Loi de 19931 étend l’action publique aux paysages du quotidien (97% de notre espace de vie). Ce texte est complété et précisé par l’un des titres de la loi Biodiversité du 6 août 20162, qui définit les outils de connaissance et d’action le concernant (cf ci-après). Cette dernière loi s’inscrit dans le cadre d’une convention internationale sur le paysage signée le 20 octobre 2000 à Florence dans le cadre du Conseil de l’Europe, et ratifiée par la France en 2006.

Définition du paysage dans la Convention du Conseil de l’Europe (20 octobre 2000), adoptée par une quarantaine d’Etats3 :

« Le paysage désigne une partie de territoire, telle que perçue par les populations et dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations. »

(définition reprise intégralement dans le code de l’Environnement depuis 2016)

Définir les enjeux généraux d’une politique locale de paysage 

Pour la population comme pour ses élus, le paysage est d’abord le cadre de la vie quotidienne de la population et donc son bien commun, qu’il faut rendre plus durable, harmonieux, lisible et cohérent.  C’est aussi, de ce fait, un élément de bien-être social, un lien culturel facteur de cohésion : la beauté partagée d’un territoire de vie est facteur de santé individuelle et collective, et une puissante incitation à s’engager dans la transition écologique. 

Vis-à-vis de l’extérieur de la communauté humaine concernée, un paysage de qualité est un facteur d’attractivité pour les entreprises et les salariés, et, la plupart du temps, le principal fondement d’une économie touristique durable.

Préciser les enjeux spécifiques de la démarche paysagère, vis-à-vis la transition écologique

La transition écologique traduite en paysage : éoliennes dans les Grands Causses, « accident visuel » dont l’implantation a été largement concertée et étudiée, Photo © Parc naturel régional des Grands Causses (Aveyron) 

Aujourd’hui les politiques de  transition écologique se traduisent par l’implantation de dispositifs de production d’énergies renouvelables : éoliennes, panneaux solaires, méthaniseurs, mais aussi par l’exigence d’économie d’espace (réduire le rythme de l’étalement urbain : le ZAN) et de préservation des continuités écologiques (trame verte et bleue), ainsi que de la qualité des sols ; elles doivent aussi promouvoir les mutations nécessaires de l’agriculture (moins d’intrants, plus de circuits courts alimentaires) et de la forêt (multifonctionnalité, résilience aux incendies…) ; enfin, il s’agit d’adapter les territoires aux risques naturels accrus qu’engendre le désordre climatique (inondations, érosion côtière, conséquences des sécheresses). 

Ces politiques doivent s’adapter aux singularités des paysages et, en retour, ont des conséquences directes ou indirectes sur le paysage : c’est donc PAR le paysage qu’il faut les aborder pour améliorer les solutions et apaiser les conflits inévitables qu’elles peuvent faire naître. Associé à l’exigence de beauté, aisément appropriable par tous, sans prérequis technique (appréciations subjectives débattues et partagées avec l’aide de professionnels), le paysage permet de vivre la transition comme une perspective démocratiquement choisie, et donc désirable.

La communauté de communes Bresse-Haute-Seille (Jura) : énergies renouvelables et paysage

L’intercommunalité (18 929 habitants) est constituée de 54 communes au nord de Lons-le-Saunier. Le territoire, traversé par l’autoroute Dijon – Bourg-en-Bresse, se caractérise par un terroir agricole de qualité (fromage de comté et vignoble de Château-Chalon) et est engagé dans une réflexion sur la transition énergétique ; un atelier citoyens a été a organisé en septembre 2021 afin de fixer des objectifs chiffrés en matière de sobriété énergétique et de développement d’un mix énergétique renouvelable. Mais il s’agissait ensuite de spatialiser ce scénario énergétique grâce à un partage entre les participants des valeurs paysagères y compris affectives et culturelles : chacun des 52 participants à l’atelier fut incité à imaginer puis à partager son « paysage désirable » (avec éoliennes et panneaux solaires…) sortant ainsi de l’entre-soi habituel des techniciens (et bureaux d’étude) et des élus locaux. Les arbitrages de ces derniers s’en sont trouvés confortés et partagés.

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Connaître et mettre en œuvre les outils d’une politique paysagère


Utiliser ou développer les outils de connaissance des dynamiques paysagères

Il s’agit de sensibiliser les responsables locaux et la population aux caractéristiques naturelles et humaines du paysage, tout en mettant l’accent sur son caractère évolutif ; il est vivement conseillé d’organiser des parcours collectifs dans une commune pour re-découvrir son histoire et sa géographie singulières, analyser son fonctionnement actuel et réfléchir à des orientations nouvelles d’aménagement pour un développement plus durable et harmonieux.

Les observatoires photographiques consistent en une série de photos prises à des intervalles réguliers au même emplacement et avec la même focale ; ils révèlent de quelle manière – en bien ou en mal – le paysage se transforme d’une année ou d’une décennie à l’autre, et aident à décider collectivement comment poursuivre l’histoire en encourageant, infléchissant ou contrecarrant les tendances constatées.

Les atlas de paysage sont établis, en général, à l’échelle du département ; ils identifient les « unités de paysage » (caractéristiques communes à une partie de territoire) les « structures paysagères » (bocages, terrasses, formes urbaines…) et les « motifs paysagers » emblématiques.

Passer à l’action en mettant en œuvre un « Plan de paysage » : 

Il s’agit de démarches volontaires, en réponse à des appels à projets annuels dotés de crédits d’études par l’Etat, mais aussi par l’ADEME et par l’Office français de la Biodiversité. Ils comportent un état des lieux partagé des singularités et des enjeux du paysage et un programme d’actions illustrant concrètement les « objectifs de qualité paysagère » que se fixe la collectivité commanditaire du projet (intercommunalité le plus souvent) pour mener sa transition écologique : réouverture d’un masque végétal, aménagement d’un espace public, requalification d’un quartier ou d’un lotissement, etc… Ces actions pérennisent la mobilisation citoyenne au service d’une adaptation et d’une amélioration des cadres et modes de vie.  On compte actuellement environ 150 plans de paysage en cours d’étude ou d’animation. Ces plans s’articulent le plus souvent aux élaborations/révisions de documents d’urbanisme ou de planification sectorielle.

La Vallée de la Bruche : le plus ancien et le plus démonstratif des plans de paysage 

A une cinquantaine de kilomètres au Sud-ouest de Strasbourg, elle regroupe une population de plus de 21 000 habitants répartis sur 26 communes. Le déclin de l’industrie textile a conduit à l’abandon des parcelles que cultivaient à temps partiel les ouvriers des usines ; le paysage s’est refermé progressivement par plantation d’épicéas. La démarche paysagère menée a conduit à la réintroduction d’une activité agricole et pastorale. La Vallée a ainsi regagné en 35 ans 1 000 hectares de prairies et quarante-huit heures annuelles de soleil… Ce travail de réouverture de l’espace a eu des effets directs sur le bien-être des populations et sur la fonctionnalité des milieux naturels. La communauté de communes a ainsi été désignée « capitale française de la biodiversité » pour l’année 2022. 

Mobiliser le paysage dans les documents d’urbanisme, mais aussi dans les planifications sectorielles

Portés par une démarche de paysage, les documents d’urbanisme (SRADDET, schémas de cohérence territoriale et plans locaux d’urbanisme communaux ou intercommunaux) deviennent plus transversaux, mieux spatialisés, mieux partagés (participation citoyenne) et plus adaptés aux contextes locaux.

Ce réflexe paysage est aussi nécessaire pour les planifications plus ciblées : plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), projets alimentaires territoriaux (PAT), chartes forestières de territoires, schémas d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE), plans de prévention des risques… Grâce à la démarche de paysage, ces documents peuvent devenir plus concrets et opérationnels une fois spatialisés.  Cela permettra d’établir des complémentarités entre eux puisqu’il s’agit le plus souvent du même territoire d’assise (passer du « mille feuilles » des contraintes au « projet de territoire » intégrateur).

Rechercher les moyens et mobiliser les compétences


Missionner les professions du paysage et sensibiliser les aménageurs :

La mise en œuvre du projet local par le paysage requiert des compétences spécifiques pour conduire le débat avec la population et les différentes catégories de spécialistes, lire l’espace environnant (ses composantes, ses motifs, ses structures, …), concevoir ses transformations spatiales et coordonner les différentes interventions sectorielles nécessaires. La formation des paysagistes-concepteurs en fait des références en la matière4. Leur titre a été défini dans la loi du 9 août 2016 pour les distinguer des pépiniéristes ou des concepteurs de jardins. Ils sont issus des écoles de Versailles-Marseille, Bordeaux, Lille, Blois et Angers, ou encore de l’ESAJ, à Paris.

Au-delà, dans toutes les professions de l’aménagement (architectes, urbanistes, écologues, agronomes, forestiers, énergéticiens, ingénieurs VRD, etc.), une « compétence paysagère » minimale, c’est-à-dire une aptitude un à intégrer les sensibilités et les usages aux aménagements  et une capacité à dialoguer avec les différents spécialistes, devrait faire partie du cursus ou être l’objet d’une session complémentaire.

Blois (quartier de la Bouillie) : les compétences en paysage présentes côté maîtrise d’œuvre ET côté maîtrise d’ouvrage

Le déversoir de la Bouillie a été aménagé au XVIIIe siècle juste en amont de Blois, afin de préserver la ville des inondations. La mémoire du risque s’estompant, des constructions et équipements y ont été édifiés dans la seconde moitié du XXe siècle, formant le quartier de la Bouillie. Cette urbanisation représentait un danger pour les habitants du quartier, mais également pour ceux situés dans la ville endiguée, les levées s’en trouvant fragilisées. L’agglomération de Blois s’est engagée en 2004, à acquérir et déconstruire 135 habitations et 30 activités pour redonner au déversoir sa fonction première. Elle a souhaité anticiper le devenir du quartier en engageant une démarche paysagère aboutissant à un projet de « parc agricole, naturel et urbain ». Un paysagiste-concepteur a été chargé de coordonner l’opération et une autre a été recrutée dans les services de l’agglomération avec rattachement direct au président, lui-même ancien enseignant à l’école du paysage de Blois. 

  • Les inondations, notamment par débordement. Dans un scénario de réchauffement à +4°C, les précipitations décennales (qui se produisent une fois tous les dix ans comme par exemple l’épisode de 2024 dans le Pas de Calais) se produiront 2,7 fois plus souvent. Plus d’un quart de la population française est exposée à l’aléa d’inondation. Au-delà de leurs impacts directs, les inondations ont des effets indirects comme les dommages sur les réseaux, les conséquences sur les services publics (hôpitaux, écoles, déchets…) et l’activité économique et assurantielle, conséquences qui se prolongent bien au-delà du retrait des eaux.

Le quartier de la Bouillie à Blois : état des lieux en 2010 et projet en cours de réalisation. Photo et document © Chorème, Gégory Morisseau

Faire appel à des organismes d’appui

Outre les professionnels spécialisés, les élus peuvent solliciter l’accompagnement d’organismes de conseil ou d’appui dont le paysage est une compétence première et qui disposent d’équipes formées : les CAUE (Conseils d’architecture, d’urbanisme et d’environnement) présents dans 92 départements, les agences d’urbanisme dont le périmètre d’intervention déborde le seul tissu bâti, les parcs naturels régionaux qui couvrent près de 20 % du territoire français et les grands sites de France qui, pour résoudre les problèmes de surfréquentation, se sont constitués en véritables laboratoires de l’inventivité paysagère. Les écoles de paysage organisent par ailleurs des ateliers de terrain encadrés pour leurs étudiants, occasion de mettre à profit l’« œil neuf » de ces derniers pour préfigurer des programmes d’aménagement innovants. Enfin les paysagistes et architectes conseils en poste deux jours par mois dans les DDT et DREAL peuvent également être mobilisés.

Faire valoir les économies réalisées grâce aux démarches paysagères pour mobiliser des financements à leur profit

Génératrices de surcoûts ou d’illisibilité des aménagements, les interventions « en silo » devront être bannies. On voit encore trop fréquemment des aménagements faits d’une collection d’artefacts sans cohérence d’ensemble (opportunité foncière pour les éoliennes par exemple…) et dont certaines conséquences appelleront des corrections coûteuses (mur anti-bruits pour préserver un lotissement mal positionné). La démarche paysagère est source d’économies !

Les crédits budgétaires d’État consacrés au paysage (Budget opérationnel de programme « paysage, eau et biodiversité » N° 113) bien que récemment revalorisés, restent encore d’un très faible montant relatif (10 M€, soit moins de 2% du total de la ligne budgétaire). Des aides complémentaires peuvent toutefois être sollicités auprès des départements (taxe départementale des espaces naturels sensibles) ou des régions (gestionnaires des fonds européens). En outre les démarches de paysage sont, depuis 2024, explicitement éligibles au Fonds vert (crédits déconcentrés de l’Etat au profit des la transition écologique). Enfin plusieurs actions ciblées de l’ANCT (Petites Villes de demain, Action Cœur de Ville, Villages d’Avenir…) recèlent une dimension paysagère parfois explicite.

  1. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000541949 ↩︎
  2. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000033016237 ↩︎
  3. Le site de la convention européenne du paysage (Conseil de l’Europe) : https://www.coe.int/fr/web/landscape
    ↩︎
  4. Les sites des principaux organismes représentatifs : l’école nationale supérieure du paysage de Versailles-Marseille abrite le LAREP ( https://www.ecole-paysage.fr/fr/larep ) et la « Chaire paysage-énergie » (https://www.ecole-paysage.fr/fr/chaire-paysage-energie ). L’association des pregroupe aysagistes-conseils de l’Etat organise des séminaires annuels d’échanges (https://www.paysagistes-conseils.org/ ). La Fédération française du paysage (FFP) antenne de l’International federation of Landscape-Architects (IFLA) regroupe la plupart des paysagistes-concepteurs  (https://f-f-p.org/ ). ↩︎
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