Auteur/organisation : Institut Terram
Sous-onglet : Vie démocratique et institutionnelle / Rapports
Résumé :
Un pilier démocratique fragilisé
La commune occupe une place centrale dans la vie démocratique française, représentant le creuset de l’engagement citoyen et l’incarnation la plus concrète du pacte républicain. Pourtant, ce socle s’érode analyse Benjamin Morel, auteur de cette étude. Les difficultés à constituer des listes pour les municipales, l’augmentation significative des démissions en cours de mandat ou encore le sentiment d’isolement exprimé par de nombreux élus traduisent un malaise profond et durable.
La fonction municipale, longtemps synonyme de proximité et de notabilité, est devenue le lieu d’une double crise : celle de l’engagement citoyen, visible dans l’abstention croissante et dans la difficulté à susciter des vocations, et celle d’une fonction perçue comme de plus en plus vulnérable, fragilisée par la centralisation de l’État, la complexification des normes et le manque de reconnaissance.
Un potentiel d’engagement sous-exploité
Malgré des signes d’essoufflement, l’enquête menée auprès de 10 000 Français révèle l’existence d’un réservoir civique : près d’un quart des citoyens (24 %) se déclarent prêts à se présenter sur une liste en 2026, une proportion stable depuis une vingtaine d’années. Cependant, seuls quelques-uns semblent prêts à passer de l’intention à la candidature effective. Les principaux freins sont le manque de temps (42 %), la lourdeur administrative (41 %), le sentiment d’incompétence (39 %), la difficulté à concilier engagement et vie familiale (38 %), le climat politique local tendu (36 %), le manque de reconnaissance de l’engagement municipal (33 %) et la crainte d’un impact négatif sur la carrière (19 %).
Une crise démocratique à géographie variable
L’étude décrit une crise de l’engagement qui n’est pas uniforme. Dans les communes rurales, en particulier celles de moins de 1 000 habitants (plus de 60 % des communes françaises), les difficultés à renouveler les listes sont les plus aiguës. Les jeunes quittent massivement ces territoires, tandis que ceux qui restent hésitent à s’engager dans des fonctions exigeantes, peu rémunérées et chronophages.
À l’inverse, dans les grandes villes, l’engagement s’apparente souvent à la défense de causes spécifiques mais reste freiné par le manque de temps (52 % des habitants des métropoles) et la complexité institutionnelle. Les villes industrielles en déclin connaissent, quant à elles, un climat de crise marqué par la défiance, le turnover des élus et la montée des tensions sociales. Le désengagement prend donc des visages multiples: sentiment d’isolement dans les campagnes, défiance dans les villes en crise, engagement « professionnalisé » dans les métropoles.
Des freins genrés et sociaux persistants
L’étude de Benjamin Morel (pour l’Institut Terram et Le Laboratoire de la République) met en évidence la persistance de barrières selon le genre et le statut social. Les femmes demeurent largement sous-représentées (seulement 20 % des maires et un tiers des sièges de conseiller municipal dans les communes de moins de 1 000 habitants). Seules 17 % des femmes interrogées se disent prêtes à envisager une candidature aux élections municipales de 2026, contre 31 % des hommes. Plusieurs freins majeurs expliquent cet écart, en particulier la difficulté à concilier engagement politique, vie professionnelle et charge familiale (46 % des femmes évoquent un manque de temps dans un quotidien déjà chargé, contre 39 % des hommes), mais aussi un sentiment de moindre légitimité (43 % des femmes estiment ne pas avoir les compétences suffisantes, contre 34 % des hommes).
Sur le plan social, l’accès à la fonction municipale demeure biaisé : 19 % des agriculteurs, 12 % des commerçants ou artisans ont déjà été élus, contre seulement 6 % des employés. Le sentiment d’exclusion, la complexité du langage politique local et la faible valorisation des parcours populaires participent à l’autocensure. Néanmoins, la participation associative ou religieuse joue un rôle décisif : plus d’un quart des Français issus de l’immigration extra-européenne ont déjà été élus (27 %), contre 8 % des natifs de parents français. De même, 24 % des personnes de confession juive ou musulmane, 21 % des protestants et 16 % des catholiques pratiquants déclarent avoir déjà été membres d’un conseil municipal, contre 8 % chez les catholiques non pratiquants et seulement 7 % chez les Français sans appartenance religieuse.
Les jeunes, enfin, expriment un désir d’engagement supérieur à la moyenne (29 %, contre 19 % chez les 65 ans et plus), mais rencontrent des obstacles spécifiques: précarité du logement, absence de réseau, incompatibilité avec l’emploi et la vie familiale. Ils sont donc moins enclins à vouloir s’impliquer durablement dans la vie locale : seuls 35 % d’entre eux souhaitent être davantage associés aux décisions communales, contre 41 % chez les aînés.
Une promesse républicaine en recul
L’étude avance que le modèle républicain de la commune comme premier échelon de la citoyenneté s’effrite.
L’accès au mandat et, surtout, ses conditions d’exercice sont de plus en plus inégalitaires: surcharge administrative (principal obstacle cité par 41 % des répondants et 46 % des élus en poste), manque de relais institutionnels, faiblesse de l’indemnisation (particulièrement dans les petites communes), usure démocratique face à la défiance et à la violence croissante. Plus de 13 000 démissions d’élus ont été enregistrées en 2023, un chiffre en hausse continue.
Dans les territoires les plus enclavés, les élus assument des fonctions de gestion, de médiation, d’assistance sociale qui dépassent largement leur mandat initial. La montée en puissance des intercommunalités, la technicisation des fonctions, la dépendance accrue à l’État et la raréfaction des ressources propres accentuent ce sentiment de dépossession : le maire et les conseillers municipaux ont le sentiment de devenir des exécutants dans une République de plus en plus désincarnée localement.
Les ressorts d’un rebond démocratique
Malgré ce tableau préoccupant, des motifs d’espoir subsistent. Le premier moteur d’engagement demeure le désir d’être utile à la commune : près d’un Français sur deux cite le souhait de changer les choses de l’intérieur (47 %) et de contribuer concrètement à la vie locale (45 %). La possibilité de faire entendre la voix des oubliés (46 %), l’envie de faire contrepoids à des décisions jugées injustes (44 %), la volonté de représenter un collectif ou une génération (29 %) ou d’acquérir des compétences nouvelles (28 %) participent aussi de la dynamique d’engagement. Le sentiment d’efficacité politique et la reconnaissance du mandat sont également des leviers puissants.
Trois futurs pour la démocratie locale
L’étude présente 3 scénarios susceptibles de dessiner l’avenir :
1) le délitement progressif : tarissement du vivier civique, multiplication des listes uniques, abstention record et marginalisation du conseil municipal au profit de l’intercommunalité et de la technocratie ;
2) la rationalisation technocratique : transformation des conseils municipaux en chambres d’enregistrement, montée en puissance de la gestion professionnelle et de la démocratie numérique, mais éloignement du pouvoir et perte du lien de proximité ;
3) la refondation civique : revalorisation statutaire et symbolique du mandat, soutien aux listes citoyennes, simplification administrative, diversification des formes d’engagement, et ancrage d’une démocratie participative vivante et inclusive.
L’étude conclut sur 5 axes pour revivifier la démocratie municipale
1. Valoriser le mandat municipal : reconnaissance sociale, intégration du mandat dans les parcours professionnels, meilleure visibilité médiatique, campagnes d’information, bonification dans les concours de la fonction publique.
2. Réduire les barrières d’entrée : simplifier les démarches, développer la formation et l’accompagnement des candidats, renforcer les dispositifs de mentorat et de soutien logistique.
3. Encourager la participation sous toutes ses formes: soutien aux listes citoyennes, innovation démocratique (jurys citoyens, budgets participatifs…), implication des jeunes et des publics éloignés de la vie politique.
4. Recréer l’écosystème civique local : densification du tissu associatif, liens intergénérationnels, coopération entre collectivités, universités et acteurs de la société civile.
5. Rééquilibrer les pouvoirs locaux : renforcer l’autonomie et la clarté des responsabilités, garantir des ressources suffisantes, promouvoir la proximité et la responsabilité démocratique.
