EN RÉSUMÉ :
Cette fiche aborde le phénomène de backlash écologique. Elle en décrit les dimensions citoyenne, politique et médiatique, et analyse ses traductions dans les politiques publiques. Elle propose ensuite des repères aux acteurs territoriaux pour affiner leur diagnostic local, et adapter leurs discours et actions.

Le backlash écologique, plus politique et médiatique qu’observé dans l’opinion publique
Le backlash – ou « retour de bâton » – écologique est un concept de plus en plus fréquemment mobilisé pour désigner l’accroissement récent des oppositions à la transformation écologique, après une période marquée par plusieurs avancées (Accord de Paris de 2015, marches pour le climat, ou encore le Green Deal européen).
Comme le rappelle Lucien Thabourey1 et la littérature de l’action collective, les réticences à l’écologie ne sont pas nouvelles. En 1972, la revue Nature se demandait déjà si le reflux des manifestations pour l’écologie par rapport à l’année précédente et les reculs légaux ne traduisaient pas un backlash environnemental. La notion d’intérêts – économiques, politiques – est clé : le backlash intervient quand des acteurs agissent pour regagner le pouvoir qu’ils ont perdu au profit des revendications progressistes, en se mobilisant pour faire pencher les pouvoirs publics, et rallier une partie majoritaire de la société.
Le backlash actuel peut recouvrir différents phénomènes :
- un backlash citoyen, qui serait né d’un malaise face à des mesures jugées contraignantes ou inégalement réparties (ex. fiscalité carbone), ou d’une dé-priorisation du sujet – il est toutefois à relativiser ;
- un backlash dans le discours politique et médiatique ;
- une traduction par des reculs concrets de politiques publiques.
A. Un backlash citoyen à relativiser : plutôt un plateau des préoccupations climat dans l’opinion, et un soutien aux politiques de transition qui reste fort
L’idée d’un rejet massif de l’écologie par la population ne résiste pas à l’examen : les données d’opinion montrent un haut niveau de préoccupation climatique stable, et un soutien majoritaire aux politiques de transition.
Les enquêtes indiquent un léger recul de la priorité accordée à l’environnement, mais l’intérêt citoyen pour le climat reste durable. Selon l’édition 2024 du baromètre annuel de l’ADEME2, un quart des Français placent encore le climat parmi leurs priorités, un niveau inférieur au pic de 2019 mais supérieur à la période 2015-2018. L’importance attribuée à l’environnement reste élevée – entre 7,6 et 8,1 sur 10 depuis dix ans – et a même légèrement augmenté entre 2023 et 2024.
On observe donc un “plateau des préoccupations climatiques” plutôt qu’un retournement ; la hiérarchie des priorités a simplement évolué avec l’augmentation des craintes relatives à d’autres sujets (pouvoir d’achat, immigration).
De même, le soutien aux politiques de transition reste large. Le baromètre de l’ADEME montre ainsi que le soutien moyen à dix grandes politiques écologiques est passé de 58 % en 2018 à 64 % en 2024. Un grand nombre de mesures récoltent un soutien largement majoritaire. On peut citer le développement du renouvelable (91 % en 2024), l’interdiction de certaines publicités (84 %) ou l’instauration de menus végétariens, bio et/ou de saison dans les cantines scolaires (68 %). La taxation du carbone pose un défi particulier – une étude internationale montre ainsi que les politiques contraignantes ne donnent que rarement lieu à des backlashes, sauf quand il s’agit de taxation du carbone, sous une forme ou sous une autre3. Toutefois, l’augmentation de la taxe carbone est pour la première fois majoritairement soutenue dans l’enquête ADEME 2024.
Des tensions spécifiques existent dans certaines poches de la population, et se concentrent en particulier sur les mesures perçues comme injustes socialement et territorialement. Les préoccupations climatiques ne varient pas entre urbains et ruraux, mais dépendent du niveau de diplôme, de revenu et du positionnement politique4. Les mesures alimentant un sentiment d’injustice territoriale et sociale cristallisent les tensions : il s’agit notamment des politiques contraignantes liées à l’usage de l’automobile (ex. limitation de vitesse à 80 km/h).
Les enquêtes montrent que des changements importants ne seront acceptables que s’ils sont partagés de façon juste entre tous les membres de la société (pour 64 % des sondés en 20225) et décidés collectivement et démocratiquement (52 %). S’agissant de la taxe carbone, la part des répondants acceptant le principe d’une augmentation de la taxe carbone passe ainsi de 51 % à 69 % si on l’accompagne d’une argumentation sociale et d’affectation écologique des recettes6.
B. Un backlash politique et médiatique moteur
Le backlash écologique s’exprime principalement dans les sphères politique et médiatique. Il s’appuie sur des mécontentements réels d’une partie de la population à l’égard de la transition, mais tend à amplifier ou simplifier ces préoccupations, faisant de l’écologie un responsable commode de difficultés plus larges.
Pour qualifier ce phénomène, le collectif Construire l’écologie7 propose la notion de greenblaming, définie comme l’ « utilisation d’arguments fallacieux ou partiels imputant à une politique de transformation écologique des torts qui en légitimeraient l’arrêt ».
Selon ce collectif, le greenblaming reposerait sur une coalition d’acteurs :
- Des forces politiques situées à droite et à l’extrême droite, qui mobiliseraient ces arguments dans une stratégie de captation du mécontentement, tandis que les partis centristes et sociaux-démocrates ont, ces dernières années, parfois atténué leur propre discours écologique ;
- Des médias conservateurs, qui contribueraient à amplifier ces dynamiques : le think tank Carbon Brief8 observe ainsi, depuis 2019, une progression régulière des discours hostiles à l’action climatique dans la presse britannique, une tendance qui s’observe également dans d’autres pays européens ;
- Certains regroupements industriels ou corporatistes, ainsi que des acteurs plus ponctuels (syndicats, partis de gauche sur certaines thématiques).
Concrètement, le greenblaming se caractérise par :
- de critiques systématiques des politiques écologiques, dès qu’elles entraînent des contraintes. Cela est illustré par la notion d’« écologie punitive », apparue dans le débat public en 2014. La note de Construire l’écologie cite, par exemple, la hausse du prix des véhicules neufs, fréquemment attribuée à la décarbonation alors qu’elle provient surtout de l’augmentation des marges et de la taille des modèles ; ou encore les Zones à faibles émissions (ZFE), parfois présentées à tort comme imposant un changement de véhicule à une majorité d’usagers ;
- L’attribution à la transition écologique de difficultés économiques ou sociales relevant d’autres causes, par exemple la faiblesse des revenus agricoles.
Ces dynamiques peuvent justifier un moindre engagement en faveur des politiques écologiques et réduire leur poids dans les arbitrages normatifs et budgétaires, surtout lorsque d’autres priorités politiques (souveraineté, compétitivité) s’imposent à l’agenda. Elles peuvent aussi produire un effet auto-réalisateur sur l’opinion publique, en entretenant la défiance.
Outre le greenblaming, des travaux de l’IDDRI et Parlons Climat9 soulignent plusieurs faiblesses propres à la stratégie des acteurs de la transition écologique, telles que le recours à une logique de clivage – efficace pour imposer le sujet à l’agenda mais insuffisante pour opérer un « pivot majoritaire » – ou encore la transformation progressive de l’écologie en marqueur de distinction sociale.
C. La traduction du backlash dans les politiques publiques : des reculs à plusieurs niveaux
Le backlash se traduit par un ralentissement de la dynamique de transition, et ce non pas forcément par un abandon des objectifs, mais par des reports d’échéances, et des allègements de contraintes.
À l’échelle internationale, le retournement de la politique américaine (retrait de l’accord de Paris, relance des hydrocarbures) a eu un effet d’entraînement négatif pour l’action climatique internationale.
En Europe, des ajustements ciblés sont engagés au nom de la compétitivité. Depuis 2024–2025, et dans l’équilibre politique issu des élections européennes, plusieurs dispositifs jugés contraignants font l’objet de révisions visant à en réduire la portée ou à en étaler la mise en œuvre (reporting extra-financier, normes automobiles…). Ces révisions sont justifiées par des objectifs de simplification et de soutien à la compétitivité, objectifs de plus en plus relayés par les milieux économiques.
En France, on observe des reculs significatifs. Le Réseau Action Climat10 recense plus de 43 mesures considérées comme régressives au premier semestre 2025 : suspension de MaPrimRénov’, suppression des ZFE sans alternatives, ou encore réduction de 4 milliards d’euros du budget de la transition écologique pour 2025, avec des perspectives incertaines pour 2026.

Quelles réactions possibles à l’échelle des territoires ?
Il est essentiel de prendre en compte les réticences citoyennes, tant dans le discours que dans l’action climatique. Toutefois, les surestimer peut conduire à une autocensure prématurée et freiner des actions avant même que d’éventuelles résistances ne se manifestent11.
A. Affiner le diagnostic
Une première étape consiste à mobiliser les ressources existantes au niveau national, telles que les baromètres d’opinion environnementale récurrents ou les enquêtes thématiques sur les usages (par exemple le Baromètre Vélo). Certains outils non spécifiquement environnementaux peuvent aussi éclairer les priorités citoyennes : l’Observatoire des élections municipales montre ainsi que les habitants attendent de leurs communes une plus grande priorisation budgétaire des transports publics par rapport, par exemple, aux espaces verts.
Il est ensuite utile de préciser ces perceptions à l’échelle locale. La fiche Solutions Transitions « Comment recueillir les aspirations des habitants » recense ainsi divers dispositifs pour recueillir les attentes des habitants, que ce soit par des échanges directs ou des études (y compris l’exploitation d’études déjà disponibles – travaux du CESER, rapports de présentation des documents d’urbanisme, etc). Croiser ces différentes sources permet d’identifier plus finement les blocages potentiels.
B. Construire des récits positifs et adapter les discours
Les récits positifs sont les plus susceptibles de rassembler autour de la transition12. Les études disponibles, dont les fiches Solutions Transitions « Comment faire de la mise en récits ? et Comment parler d’écologie et connecter les “solutions” écologiques aux attentes des habitants ?, identifient plusieurs pistes en la matière :
- Si la culpabilisation est évidemment contreproductive, il est préférable de mettre en avant les bénéfices concrets et locaux de la transition à l’échelle individuelle et familiale, plutôt que de tenir un discours général, théorique ou incantatoire. On peut ainsi mettre en avant les impacts sur la santé, les créations d’emplois, ou encore les gains sur le budget des ménages (ex. baisse des factures énergétiques après rénovation). La note de Parlons Climat et de l’IDDRI13 propose d’aller au-delà en faisant de l’articulation entre écologie et préoccupations quotidiennes le socle d’un véritable contrat social, susceptible de permettre le “pivot majoritaire” de l’écologie. Cela implique de souligner en quoi parler d’écologie, c’est aussi parler de plusieurs de sujets concrets et déjà importants aux yeux des concitoyens : se loger, se nourrir, se déplacer, se chauffer, travailler.
- Les discours et messagers peuvent être adaptés aux intérêts, valeurs et identités des publics. L’enquête Les Français parlent climat14 fournit à cet égard des repères utiles pour communiquer auprès de diverses familles de valeurs, en identifiant leurs leviers de motivation, leurs freins, ainsi que les registres de ton, temporalités, messagers de confiance et canaux d’information les plus adaptés.
Par exemple, pour les “Laissés pour compte”, préoccupés avant tout par le pouvoir d’achat, l’étude recommande de privilégier un discours concret, local et centré sur l’amélioration du quotidien ; leur confiance repose surtout sur les proches et les échanges de pair à pair. Pour les “Libéraux optimistes”, un discours d’expert, rationnel et chiffré, mettant en avant l’innovation, l’économie et les perspectives internationales, serait plus adapté. - Outre la stratégie de discours, il est important d’entretenir la confiance envers les responsables publics, qui est indispensable à l’acceptabilité d’éventuelles contraintes. Les élus locaux bénéficient d’un capital de confiance particulier, y compris sur les sujets climatiques15, qu’il convient d’entretenir par une posture d’écoute et de co-construction.
C. Gérer les contraintes sur les leviers d’action
Le resserrement budgétaire national (ex. contraction à prévoir du Fonds vert) et les revirements de l’État sur certaines politiques (ex. MaPrimeRénov’, ZFE) contraignent et limitent la capacité d’action locale. Par ailleurs, les citoyens sont actuellement peu ouverts à l’augmentation de la fiscalité locale16, limitant les marges de manœuvre sur ce point.
Ces contraintes alimentent la tentation du recul. Pourtant, suspendre l’action écologique expose à un backlash de l’inaction, notamment lorsque les conséquences du changement climatique se manifestent localement. Ainsi, après une inondation, des élus ayant autorisé une extension de centre commercial limitant l’infiltration de l’eau pourraient se voir reprocher d’avoir aggravé les dommages17.
Les collectivités peuvent ainsi :
- Prioriser les politiques générant des co-bénéfices immédiats pour les habitants, en phase avec les attentes exprimées localement (par exemple, le développement des transports publics).
- Définir des projets de territoire à long terme et mobiliser les compétences et leviers dont elles disposent, y compris ceux qui restent opérationnels quelles que soient les incertitudes nationales (voir la fiche Solutions Transitions : « Les compétences et leviers d’action dont disposent les collectivités territoriales pour engager leur transition écologique »).
- Intégrer systématiquement les leviers d’acceptabilité, en particulier : un processus collectif et démocratique (la fiche Comment parler d’écologie et connecter les “solutions” écologiques aux attentes des habitants ? présente ainsi des outils de co-construction des politiques) et une attention à l’équité des politiques de transition.
En matière d’adaptation, l’enjeu d’équité se cristallise au niveau local autour d’une question centrale : comment organiser le partage de ressources en tension, telles que l’eau et le foncier ? Ce défi met au premier plan les questions de gouvernance, et donc la nécessité d’un processus collectif et démocratique, comme l’a illustré le débat sur les méga-bassines. Pour Manon Loisel et Nicolas Rio18, la question du partage des ressources sera au cœur du débat des municipales de 2026.
D. Affirmer la dimension politique de la transition écologique
Affirmer que la transition écologique est bénéfique pour tous nie le fait qu’à court terme, comme tout réel changement, elle crée des gagnants et des perdants. Le discours du backlash a pu s’appuyer sur le décalage entre ce discours et la réalité vécue par certains citoyens.
Afin de ne pas donner de prise à ce discours, Manon Loisel et Nicolas Rio invitent les acteurs qui portent le sujet à :
- assumer de faire des perdants et se mettre dans une optique de pouvoir justifier pourquoi ces choix peuvent mettre plus à contribution certains que d’autres,
- préciser de qui l’on parle : plutôt que d’évoquer des notions ou des concepts, être concrets sur les améliorations, les effets, ce que ça change et qui en bénéficie,
- comparer ces politiques avec celles prônées par les autres : d’autres priorités de politiques publiques impliquent d’autres perdants, il est dans l’intérêt de celles et ceux qui veulent être ambitieux en faveur de l’écologie que de nommer ceux-ci,
- faire la preuve d’un consensus majoritaire, ce qui implique de sortir de l’opposition pro VS anti pour déplacer le débat sur les conditions d’acceptabilité de telle politique ou tel projet.

Aller plus loin : Les ressources existent et sont très complètes!
- ADEME, 2024, Les représentations sociales du changement climatique : baromètre d’opinion national, avec un historique important. Les autres études référencées dans cette note peuvent aussi être explorées.
- Fiches Solutions Transitions liées :
- Lucien Thabourey. Backlash écologique ? Évaluer la pertinence du concept pour les sciences sociales et l’étude des résistances à l’écologie. Analyse Opinion Critique, 2025 ↩︎
- ADEME, 2024, Les représentations sociales du changement climatique ↩︎
- Anisimova et Patterson, 2025 ↩︎
- Enquête Les Français parlent climat, 2025 ↩︎
- Parlons Climat, 2022 ↩︎
- La question posée est ainsi : « Êtes-vous favorable ou non à une augmentation de la taxe carbone à condition que cela ne pénalise pas le pouvoir d’achat des ménages des classes moyennes et modestes, et que les recettes de la taxe soient utilisées pour financer des mesures de transition écologique, notamment sur les territoires ? » ↩︎
- Collectif Construire l’écologie, 2024, Greenblaming – La construction de l’épouvantail écologique ↩︎
- Carbon Brief, 2024, Analysis: Record opposition to climate action by UK’s righ-leaning newspapers in 2023 ↩︎
- Lucas Francou (Parlons Climat),Mathieu Saujot et Marion Bet (IDDRI), 2025, Vers un pivot majoritaire de l’écologie ? ↩︎
- Réseau Action Climat, briefing presse, 2025 ↩︎
- Paternotte, D. (2021). Backlash : une mise en récit fallacieuse. La Revue Nouvelle, 6(6), 11-15. ↩︎
- Voir aussi ce récent article de la Fondation Jean Jaurès. ↩︎
- Lucas Francou (Parlons Climat),Mathieu Saujot et Marion Bet (IDDRI), 2025, Vers un pivot majoritaire de l’écologie ? ↩︎
- Recommandations par famille de valeur de l’étude “Les Français parlent climat”, 2022 ↩︎
- Les Français font-ils confiance à leurs élus locaux pour répondre à l’urgence climatique ?, Sondage Odoxa, 2022 ↩︎
- Pour les communes, voir Observatoire des élections municipales, septembre 2025 ↩︎
- Exemple cité par Manon Loisel et Nicolas Rio, 2025, Le backlash écologique qui vient : réflexions sur les municipales 2026 ↩︎
- Manon Loisel et Nicolas Rio, 2025, Le backlash écologique qui vient : réflexions sur les municipales 2026 ↩︎
