EN RÉSUMÉ :
Cette fiche a pour objectif d’expliciter les objectifs et modalités de déploiement de la budgétisation verte, (1) et de souligner l’intérêt de cette démarche (2).
Pourquoi est-ce important : quels sont les enjeux territoriaux du sujet ?
Le budget est le bras armé du programme politique, son adoption est le temps fort de l’année politique. Pourtant, il peut être difficile à appréhender pour les élus, technique pour les agents et obscur pour les citoyens. Il peut s’avérer un acte ou il est difficile de voir clair et de sortir des routines, de bien mesurer les impacts des décisions, d’appréhender les réelles marges de manœuvre entre engagements juridiques et possibilité de redéploiement. La budgétisation verte, qui au départ est une nouvelle contrainte réglementaire, peut être l’opportunité de rendre l’exercice plus lisible, plus transversal, plus partagé. Elle peut être l’occasion de réinterroger en profondeur les pratiques et de conduire le changement.

Qu’est ce que la budgétisation verte et comment ça marche ?
a) Contexte
La démarche de budgétisation verte est une déclinaison financière des objectifs issus de l’Accord de Paris adopté en 2015. La France est le premier pays à publier une analyse de l’impact environnemental de son budget, à partir de 2019. Cette analyse est structurée autour des six objectifs environnementaux de la Taxonomie verte européenne, règlement adopté afin d’évaluer la durabilité des projets susceptibles d’être financés au titre du Plan Vert. Ces six objectifs sont :
- l’atténuation du changement climatique
- l’adaptation au changement climatique
- l’utilisation durable et la protection des ressources aquatiques et marines
- la transition vers une économie circulaire
- la prévention et la réduction de la pollution
- la protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes.
Dans la continuité, l’Institut de l’Économie pour le Climat (I4CE) a développé avec des collectivités une méthode d’analyse de l’impact environnemental du budget des collectivités territoriales, publiée en 2022, sur les seuls objectifs climat (1 et 2).
b) De quoi s’agit-il ?
Il s’agit en pratique de proposer une cotation (Favorable / Neutre / Défavorable) pour chaque ligne de dépense, à la maille d’une opération, avec une priorité donnée aux dépenses d’investissement (l’annexe réglementaire prévue par la loi de finances pour 2024 ne concerne que ce volet). C’est un exercice qui a le mérite de la patience, puisqu’il est réalisé annuellement et qu’une portion de dépenses qui nécessiterait plus d’informations, y compris à la fin d’un exercice, peut être considérée comme restant à approfondir et ne pas être cotée au moins dans un premier temps. Le progrès est ainsi réalisé à mesure que les services s’approprient la méthode et que les informations opérationnelles sont recueillies.
c) Une annexe budgétaire obligatoire
L’article 191 de la Loi de Finances Initiale pour 2024 institue une annexe “Impact du budget pour la transition écologique”, devant être intégrée au Compte Administratif / Compte Financier Unique à partir de 2025 par toutes les collectivités de plus de 3.500 habitants. Si cette évaluation n’est pas exactement celle d’une budgétisation verte, son périmètre concernant uniquement les dépenses exécutées et non celles prévisionnelles adoptées au Budget Primitif, le cadre d’analyse est le même et son déploiement devrait contribuer à l’adoption de cette démarche “majoritaire” par les collectivités. Cette obligation suscite cependant des frustrations et des inquiétudes, une impression de contrainte “descendante” a pu nuire au portage politique d’une analyse ambitieuse de l’impact environnemental du budget des collectivités.
d) Déploiement
Pourtant, cette budgétisation verte est l’une des rares démarches permettant d’avoir une vision transversale et globale des initiatives et degrés d’appropriation des enjeux environnementaux. Son déploiement, prévu de manière progressive afin de couvrir les 6 axes de la taxonomie européenne d’ici à 2028 nécessite un investissement certain pour les collectivités, pour l’assimilation du cadre méthodologique, la coordination des échanges transversaux et le pilotage de l’analyse, souvent issus d’un portage partagé entre les services financiers et les directions de l’environnement. Pour les plus petites collectivités, la modalité de déploiement la plus réaliste semble être une montée en compétence d’agents des services financiers sur les sujets environnementaux et la méthode spécifique du budget vert.
e) Accompagnement
Afin d’accompagner les agents dans cette montée en compétence, le CNFPT prévoit des formations permettant de se familiariser aux enjeux de la budgétisation verte. L’État a par ailleurs mis en place un outil d’aide à la conception de l’annexe, qui peut être utilisé comme un support de cotation bien qu’il n’intègre pas en son sein les grilles d’analyse de la méthodologie. Les collectivités de tailles plus importantes ont généralement opté pour la création de postes spécifiquement consacrés à ces missions.
f) Autres démarches de budgétisation « verte«
Les démarches de budgétisation vertes qui ont été présentées ci-dessus et ne sont toutefois pas les seules. Certaines collectivités ont développé des cadres différents afin de répondre à des priorités différentes. Évoquons la Métropole de Lyon, qui vise à donner une “note globale” à chaque projet et produit des tableaux de bords adaptés aux besoins de chaque strate de la collectivité : agents, direction, élus, etc. Si l’outil est puissant, il semble taillé “sur mesure” et être difficilement réplicable, un impératif nécessaire pour le déploiement généralisé dans le cadre de l’annexe réglementaire.
La Ville de Pessac a elle initié une démarche de budget aligné aux 17 objectifs de développement durable des Nations Unies (ODD). Cette analyse qui présente l’intérêt de disposer de critères sociaux est devenue la base d’une spécification AFNOR en vue de l’élaboration d’un Budget Soutenable. Elle vise à intégrer les attendus de l’annexe réglementaire, mais dans une modalité indirecte et plus complexe que celle “majoritaire”, évoquée ci-dessus.
Enfin, un horizon prometteur mais peut-être encore un peu lointain : le déploiement d’une nouvelle méthode comptable intitulé “C.A.R.E”, en “double matérialité”, c’est-à-dire intégrant le capital et la dette écologique dans les comptes d’une structure et non seulement son capital financier ou humain. Si un tel bouleversement des habitudes dans l’acte de “rendre compte” est réjouissant, il semble peu envisageable de le voir déployé à grande échelle dans les collectivités à court terme, au vu de la lourdeur que représenterait un tel changement du cadre comptable.

Quels sont les intérêts d’adopter une budgétisation verte ?
a) Une vision transversale et globalisée
Pour les collectivités ayant désormais un peu de recul, les vertus de la démarche de budgétisation verte résident plus dans l’action même de la réaliser que dans ses résultats. Elle permet de diffuser des questionnements d’impact environnemental de manière transversale, voire de “casser des silos” ou des injonctions contradictoires dans certains domaines (construire plus / artificialiser moins…). Ainsi, la réflexion opérationnelle sur d’autres objectifs de politiques publiques que spécifiquement environnementaux permet la remontée d’indicateurs pertinents et harmonisés. Par exemple, les projets visant à améliorer l’accès à la culture, aux loisirs ou aux sports, évaluent souvent peu ces impacts. Par ailleurs, les impacts environnementaux ne se compensent pas entre eux : un projet peut être favorable à l’atténuation du changement climatique et défavorable à la biodiversité par exemple. De la même manière, un projet peut avoir un gain social, mais un impact environnemental défavorable (fournir des ordinateurs individuels pour lutter contre l’illectronisme et favoriser l’inclusion numérique). Ces impacts doivent être considérés ensemble, de manière croisée.
b) Intégrer les enseignements aux arbitrages budgétaires
Après une phase d’assimilation, les critères de classement du budget vert permettent d’informer de manière précise les élus sur les impacts des arbitrages budgétaires. Les dépenses défavorables identifiées ne sont pas des “mauvaises dépenses”, mais des leviers de progrès à leur disposition. Il ne s’agit pas d’arrêter de chauffer une école parce qu’elle l’est au gaz, mais d’objectiver que ces achats représentent X % des dépenses défavorables à l’atténuation du changement climatique et qu’un investissement en isolation et/ou le remplacement de la source d’énergie peut constituer un gain environnemental (et financier) prioritaire. La démarche incite également à mettre en place des éco-conditions aux subventions ou des conditions environnementales aux achats. Cet outil permet aussi de déployer une démarche de sobriété et d’objectivation du besoin en permettant de confronter les objectifs d’un projet avec ses impacts. Il convient de noter que cet impératif de sobriété ne transparaît pas dans l’analyse du budget vert, la dépense qui n’est pas réalisée n’y étant par définition pas intégrée. Cependant, la cotation d’une dépense peut contribuer à un arbitrage annuel ou pluriannuel pour un projet, et peut aider à sortir d’une logique du “coupage du ruban”, de l’obligation à construire de nouvelles infrastructures pour donner une identité à son mandat.
c) Le choix plutôt que la contrainte
La sobriété est le premier levier de la transition écologique, et semble particulièrement importante à l’heure des réductions budgétaires évoquées. Il importe toutefois de ne pas confondre sobriété choisie et crise subie. Le budget vert peut être l’un des outils permettant d’être dans le premier cas. C’est aussi une capacité d’arbitrer en fonction de l’efficacité “physique” de la dépense publique. Les critères de classement aboutissant à la cotation d’une dépense étant adossés aux caractéristiques opérationnelles et au cadre stratégique en vigueur (exemple : Stratégie Nationale Bas Carbone pour l’atténuation du changement climatique), le budget vert consiste à déterminer si une dépense est alignée “physiquement” avec les objectifs de ces stratégies. Ainsi, si une collectivité découvre que 20 % des rénovations qu’elle finance ou réalise aboutissent à un progrès énergétique faible ou nul, elle pourra questionner soit la pertinence de la dépense, soit le cadre dans lequel celle-ci est réalisée et ainsi identifier des pistes d’économies ou un besoin d’augmenter l’exigence technique de ces opérations.
d) Impacts croisés et récit politique
Au premier abord, l’analyse séparée de chaque dépense selon chacun des six objectifs environnementaux de la taxonomie verte européenne peut sembler technique. Pourtant, l’absence de compensation entre ces impacts permet un pilotage puissant et efficace et une grande lisibilité à l’exercice. Afin de garder le contrôle du récit de ses dépenses, une collectivité peut avoir intérêt à publier des éléments d’analyse permettant d’expliquer quels autres objectifs d’une dépense sont attendus, dans quel contexte celles-ci sont réalisées, ou pour quelles raisons elle a pu arbitrer de conserver une dépense défavorable sur un axe environnemental. Comme évoqué ci-dessus, une telle analyse peut aussi permettre de documenter un choix de sobriété qui n’apparaîtra pas dans l’annexe ni dans le budget. C’est aussi l’occasion de réhabiliter les Débats d’Orientations Budgétaires, temps obligatoire du calendrier budgétaire prévu au CGCT, souvent relégué au second plan. Ils sont pourtant l’occasion de revitaliser le débat public et d’expliciter les choix prévus et de réinjecter de l’échange entre les élus dans la construction du budget. De la même manière, le rapport développement durable (concernant surtout les gros EPCI et les métropoles) peut être un lieu de mise en perspective des choix budgétaires réalisés selon leur impact environnemental.
e) Adaptation et assurabilité
Dans un contexte d’accélération des effets du changement climatique, le déploiement d’une analyse rigoureuse de l’adaptation des investissements à ces effets peut constituer une manière d’adresser la difficulté grandissante des collectivités à s’assurer contre les événements extrêmes (précipitations, sécheresse, impacts sur la santé, etc.).
f) Réflexion pluriannuelle pour de nouvelles sources de financement
Au-delà de l’annualité budgétaire qui rythme la vie financière des collectivités, une vraie réflexion sur la pluriannualité des investissements et leurs objectifs et impacts environnementaux peut compléter la démarche d’évaluation. Dans le prolongement des travaux de budgétisation verte, I4CE développe une méthodologie de construction de Plans Pluriannuels d’Investissements alignés aux objectifs climat (fiche à venir sur le sujet). La construction d’un tel plan, qui devrait à terme s’ouvrir aux autres objectifs environnementaux, peut permettre de construire un “récit environnemental des dépenses” d’un mandat, et de se rapprocher de nouvelles sources de financement sur le long-terme. Les fonds structurels européens, le Fonds Verts, sont des pistes envisageables, mais aussi le recours à l’emprunt – dont le rapport “Panorama des financements climats des collectivités locales” (I4CE / La Banque Postale) montre qu’il est un levier encore peu utilisé pour les collectivités les plus petites. Une stratégie environnementale forte et cohérente constitue un avantage certain pour accéder aux marchés dans de bonnes conditions et rassurer les investisseurs. A ce titre, l’Agence France Locale ou la Banque des Territoires sont des interlocuteurs privilégiés et ont souligné les synergies entre la budgétisation verte et le financement de la transition écologique.

Aller plus loin : Les ressources existent et sont très complètes!
- Évaluation environnementale du budget des collectivités (I4CE ) : si cette méthode vise uniquement à évaluer les impacts climat, elle offre un cadre méthodologique global et des grands principes fondamentaux pour le déploiement de l’analyse, y compris sur les autres objectifs environnementaux.
- Budget Vert des collectivités (DGCL) : site ressources principal quant au cadre réglementaire et technique de l’annexe “Impact du budget pour la transition écologique”, où seront intégrés les futurs guides de cotation pour chaque objectif environnemental.
- UE Taxonomy Compass : permet de passer en revue les critères d’alignement des investissements à la Taxonomie verte européenne (en anglais uniquement)
- Rapport de la délégation aux collectivités territoriales : Engager et réussir la transition environnementale de sa collectivité.
- Contacts :
- Agence France Locale
- Association des Maires de France : services Finances et fiscalité locales et Transition écologique
- France Ville Durable