EN RÉSUMÉ :
Cette fiche présente l’intérêt qu’ont les élus et leur collectivité de travailler avec la recherche (1). Elle présente également les différents moyens, dispositifs, voies, pour mobiliser concrètement les chercheurs et scientifiques dans le quotidien des politiques publiques (2).
Pourquoi est-ce important : quels sont les enjeux territoriaux de sujet ?
Face à des enjeux de plus en plus complexes et systémiques et à une désinformation croissante dans le débat public, il semble pertinent que les futurs exécutifs municipaux puissent appuyer leurs décisions sur des données, outils et méthodes scientifiques robustes et fiables. De leur côté, les scientifiques peuvent trouver des intérêts à travailler avec les collectivités : financement, suivi dans la durée, terrains d’expérimentation et de recherche concrets et motivants pour leurs étudiants, confrontation avec des visions trop académiques, etc.
Points d’attention :
- Le rôle de la science est de rester objective. Travailler avec elle et son écosystème nécessite d’être ouvert à la critique et à la remise en cause.
- Travailler avec la recherche implique souvent un engagement financier de la collectivité. La science a aussi besoin de financements, particulièrement en France.

Pourquoi travailler avec la recherche ?
a) L’expertise scientifique comme vecteur de connaissance de son territoire aujourd’hui et demain
La recherche produit des connaissances, des données, des outils, des méthodes. Ces éléments peuvent servir de socle à un diagnostic de territoire sur différents sujets : climat, biodiversité, eau, santé, occupation du sol… La récolte régulière de données et un suivi scientifique permettent d’ajuster en continu les stratégies adoptées en fonction des résultats observés sur le terrain et en s’appuyant sur des faits et une méthodologie solide. La recherche permet aussi d’expérimenter de nouveaux modes de faire.
Par exemple : en région, les élus peuvent s’appuyer sur les GREC – Groupes Régionaux d’Expertise sur le Climat pour des données climatiques. L’expertise de Météo-France et plus précisément de son centre de recherche (CRMN) peut également être sollicitée. Pour plus d’informations sur les sources de données environnementales, se référer à cette annexe du rapport de la délégation collectivités territoriales du Sénat.
Les travaux de recherche permettent aussi de se projeter et d’anticiper les défis futurs. Les modèles prédictifs, basés sur des travaux scientifiques, offrent aux décideurs des outils pour anticiper des évolutions et préparer des politiques publiques en conséquence.
Par exemple : la Métropole de Lyon a mené un travail de recensement des 90 projets de recherche soutenus et menés sur le territoire entre les années 2020-2026. La collectivité considère la recherche scientifique “comme un levier incontournable pour l’élaboration de politiques publiques éclairées et efficaces. […] La recherche est un outil au service de l’amélioration des pratiques et de l’évolution des politiques publiques.”1
Nantes met à disposition des communes une plateforme de données notamment environnementales.
b) L’expertise scientifique comme vecteur d’objectivité et de transparence
Les scientifiques éclairent le débat en posant des enjeux objectivés et a priori non partisans. Ils posent le diagnostic et les questions. Ils éclairent les citoyens et les élus. Ils rendent possible un débat sur les solutions et les choix à faire sur des bases solides : les consensus scientifiques. Impliquer experts et chercheurs favorise donc une démarche plus transparente et moins prise dans des “camps politiques”.

Comment travailler avec le milieu scientifique ?
Non exhaustifs, les quelques exemples ci-dessous sont classés de l’investissement le plus faible vers l’investissement maximal. Le déploiement des partenariats entraîne parfois la création de services dédiés dans les collectivités, colle un service “enseignement supérieur et recherche” par exemple.
a) Faire intervenir des scientifiques pour former, sensibiliser, challenger dans une logique de dialogue Science et Société
La médiation scientifique fait partie du travail des chercheurs. Ces derniers peuvent être sollicités pour des moments avec le grand public, comme par exemple lors de la fête de la Science, organisée chaque année en octobre. Ils peuvent être sollicités pour des débats, des conférences, voire des visites de laboratoires pour créer ce lien société civile et recherche.
C’est aussi la bonne formule si vous voulez organiser la formation des élus et des équipes efficacement et à moindre coût par rapport à des consultants privés (voir fiche formation).
Par exemple : La formation des hauts fonctionnaires de l’Etat a en partie été confiée au CNRS qui a organisé de nombreuses conférences scientifiques, toujours avec un binôme “sciences dures” et “SHS” pour croiser les visions. AcclimaTerra a mené une série de conférences organisées en lien avec l’association Le Train du Climat auprès des EPCI notamment en zone rurale en lien avec la construction de leur PCAET. Dans l’Ain, Grand Bourg Agglomération a instauré un cycle annuel de conférences apprenantes avec des grands témoins scientifiques sur les sujets environnementaux auprès des élus et des agents.
b) Appuyer l’action de la collectivité sur des conseils scientifiques (CS).
Assez connus chez les opérateurs plus techniques comme les parcs nationaux et régionaux par exemple, les conseils scientifiques peuvent aussi être constitués à l’échelle de la collectivité.
C’est la bonne formule si vous voulez obtenir des avis scientifiques réguliers et variés pouvant influer sur les politiques publiques. Ces instances peuvent aussi challenger le politique, l’alimenter en propositions nouvelles et nourrir la communication de la collectivité. La mise en place d’un CS doit bien être réfléchie en amont afin de le positionner au bon niveau dans la collectivité pour que les scientifiques puissent être pertinents dans leur contribution, comprendre ce qui est attendu d’eux et quel usage feront les élus de leurs éléments. Il doit être pluridisciplinaire pour répondre à l’aspect systémique de la crise. Ils peuvent aussi être des comités éthiques pour aider à éclairer des controverses ou des dilemmes éthiques fréquents dans les questions de transition.
Coût : la mise en place d’un CS nécessite un suivi et une animation pérenne pour un impact maximal, donc un coût RH. Selon le fonctionnement du CS, la participation scientifique peut se faire avec ou sans coût supplémentaire selon qu’elle est, ou pas, dans les missions du chercheur.
Par exemple : Plusieurs villes (Paris, Ivry-sur-Seine, …) sont dotées d’un CS qui les accompagne sur leurs actions. La Métropole de Lyon de son côté a créé un CS pour le suivi de son Plan Climat Air Energie Territorial (PCAET), tout comme la Métropole de Grenoble avec un CS Climat et Transition. La métropole Nice Côte d’Azur s’est dotée d’un haut conseil local pour le climat et la biodiversité composé de 17 experts afin d’orienter les décisions stratégiques de l’exécutif, d’adapter au mieux le territoire et de réduire son empreinte écologique.
c) S’investir dans des programmes de recherche action
Dans le cadre de la mise en œuvre d’un projet, programme ou politique publique, les programmes de recherche action permettent de décloisonner, d’ouvrir le spectre des questions évaluatives et de se donner des moyens accrus pour y répondre.
C’est la bonne formule pour traiter une thématique que vous ne maitrisez pas et que vous souhaitez explorer, sans recrutement dédié. De cette recherche-action, vous obtiendrez un diagnostic, des préconisations et des propositions d’action, soutenus par une méthode scientifique.
Par exemple : Une vingtaine de collectivités participent au programme « POPSU Transitions », un des programmes de la Plateforme d’Observation des Projets et Stratégies Urbaines. Les sujets sont par exemple : désirabilité du territoire, urbanisme et transition… Le Cerema porte de nombreux programmes comme par exemple l’amélioration des performances des bâtiments, la gestion des risques naturels… Efficacity propose par exemple aux collectivités ou aux aménageurs des « recherche & action » cofinancés entre 35 % et 50 % pour expérimenter et diffuser des nouveaux outils d’aide à la décision permettant de décarboner les territoires urbains.2
d) Faire travailler des chercheurs, via le dispositif « doctorant-conseil »
Ce dispositif défini par un décret permet de faire travailler des doctorants sur une mission à temps partiel (jusqu’à 32 jours par an) dans une structure externe à l’université (entreprise, administration, collectivité territoriale…), généralement sans rupture de contrat doctoral avec l’établissement de recherche. C’est un format plus souple que le dispositif CIFRE exposé ci après. Le doctorant est rémunéré en plus de son contrat doctoral, souvent par une indemnité ou un contrat de vacation ou de prestation.
C’est la bonne formule pour obtenir une expertise de haut niveau, indépendante, à coût réduit par rapport à un consultant – et avec un niveau d’investissement limité pour la collectivité. Mais il faut trouver un directeur de thèse suffisamment compréhensif pour permettre ce temps partiel…
Coût : pour une mission de 32 jours, il faut compter un coût total de 7600 euros TTC (allocation + frais de gestion + TVA). C’est bien moins cher qu’un consultant privé.
e) Intégrer des jeunes chercheurs aux équipes de la collectivité
Les Conventions Industrielles de Formation par la Recherche (CIFRE) reposent sur un partenariat tripartite réunissant une collectivité (ou une entreprise), un laboratoire de recherche et un doctorant. Il s’agit pour la collectivité d’embaucher un doctorant en tant qu’agent contractuel. Le CDD dure 3 ans, le temps pour le doctorant de réaliser sa thèse dont le sujet de thèse est co-construit entre la structure et le laboratoire et doit avoir une valeur à la fois scientifique et appliquée.
C’est la bonne formule pour recruter un profil sensible à l’approche par la recherche dans sa collectivité, avec une expertise pointue et permettant ainsi d’accueillir un profil atypique dans ses équipes, avec un coût subventionné. Le dispositif est plus engageant que celui de “doctorant conseil”.
Le CNFPT décerne un prix chaque année pour les CIFRE des collectivités.
Coût : la collectivité accueillante verse le salaire du doctorant, avec un coût minimal brut d’environ 23 500 € / an (en 2024). Le financement d’un CIFRE est subventionné par l’Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT) à hauteur de 14 000€/an pendant 3 ans.
Par exemple : La ville de Grenoble a une politique de recrutement CIFRE structurée et pérenne. Chaque année, la collectivité cherche à accueillir trois nouveaux doctorants dont le sujet de thèse portera sur les questions prioritaires de la municipalité. En cours : la comptabilité écologique, l’évaluation des dispositifs de démocratie locale, les initiatives citoyennes.
f) Élaborer des partenariats renforcés avec les institutions de recherche.
Il est aussi possible de construire des partenariats renforcés avec les institutions de recherche. Ce paragraphe liste quelques exemples de ces partenariats. Attention, ces montages demandent un engagement financier, politique et humain plus important. Il est important aussi de ne pas réinventer des dispositifs existants.
Le format le plus simple de partenariat réside dans une forme de conventionnement. La convention permet de définir les modalités, sans s’adosser à une structure à construire et nécessitant des moyens supplémentaires.
Les chaires constituent des enseignements (formation) et des programmes de recherche (recherche) à fort potentiel de rayonnement. Les sujets de chaires portent sur des thématiques innovantes et réunissent des partenaires publics et privés. Une convention pluriannuelle définit la durée (généralement de 3 ans), les modalités de financement entre l’ensemble des parties prenantes ou encore le calendrier et la gouvernance de cette forme de coopération.
C’est la bonne formule pour créer un cadre stable de collaboration entre la collectivité et le monde académique qui apporte une expertise scientifique continue, une co-construction dans le temps de l’innovation et une visibilité à la collectivité sur sa capacité à innover et à coopérer avec la recherche…
Coût. Le coût d’une chaire inclut le salaire du titulaire de la chaire (enseignant-chercheur), le financement d’un ou plusieurs doctorants/post-docs, du budget de fonctionnement (séminaires, publications, terrains) etc. Le budget est conséquent ; mais une chaire est idéalement multipartenariale, et permet ainsi de répartir les coûts.
Par exemple : La chaire ESSEC Transition écologique associe des partenaires socio-économiques avec l’université et Cergy Pontoise Agglo ; idem pour la chaire biodiversité de cette même collectivité et Cergy Université. Point de vigilance sur le modèle de financement du côté de la collectivité qui n’est pas connu dans ce cas.
Les Groupements d’intérêt scientifique (GIS) permettent d’associer des personnes morales autour du développement de la recherche sur une grande diversité de domaines. Ce cadre de partenariat souple, sans personnalité juridique, formalise et rend visible l’engagement des parties à fédérer leurs compétences sur une durée déterminée. Un GIS est matérialisé par une convention constitutive dont le préambule décrit le cadre scientifique de ce GIS, les raisons et motifs qui ont conduit les partenaires à collaborer et leurs compétences et expériences respectives. En moyenne, les GIS, selon le CNRS, sont prévus pour durer environ 4 ans.
C’est la bonne formule pour structurer un réseau de recherche et action, sur du long terme, sur des thématiques moins précises que dans le cas d’une chaire.
Coût : Il est difficilement chiffrable mais important même s’il peut être réparti entre partenaires.
Par exemple : Le GIS Littoral Basque a été créé pour répondre à des besoins complexes de gestion du littoral comme les risques côtiers, les déchets flottants, la qualité de l’eau. Il a par exemple réalisé un outil de modélisation numérique et statistique pour prévoir les risques de submersions marines.
Les formats de groupements d’intérêt public (GIP) peuvent permettre d’aller encore plus loin en termes de coopération, compte tenu d’une forme juridique de personnalité morale de droit public avec une gestion autonome). Le GIP n’est pas seulement dédié aux collaborations scientifiques.
Des formats ad hoc et spécifiques aux territoires peuvent aussi être créés. Ils permettent de ne pas s’astreindre à une forme juridique particulière tout en étant libres sur le contenu, le format pour structurer des partenariats forts avec la recherche et l’enseignement supérieur. Il nécessite cependant un réel investissement de la part des collectivités en termes de temps et de soutien financier.
Par exemple : le Laboratoire des transitions regroupe des structures scientifiques et la Région Occitanie en vue d’améliorer l’intermédiation entre chercheurs et acteurs des politiques publiques régionales et d’apporter des réponses construites.
g) Au-delà de la recherche ? Mobiliser les étudiants
Les étudiants peuvent également être force de proposition pour venir questionner et apporter une vision innovante sur des projets locaux. Les collectivités participent de cette façon aussi à la formation des professionnels de demain y compris ceux du secteur public. Il peuvent être associés de plusieurs manières :
- Par le biais de projets réalisés dans le cadre de leurs études. De nombreux établissements lancent des appels à projets, de façon gratuite ou payante selon le niveau des livrables.
Par exemple. On peut citer les projets Publics factory à Sciences Po Lyon, le projet Transition écologique et solidaire ou le Projet d’Ingénierie au service des territoires de l’ENTPE ; l’appel à Projets citoyens de l’école des Mines de Saint-Etienne ; ou encore les Rapports commandés par une administration pour les IRA (exemple ici de Lille mais valable pour tous les IRA). Les formats hackathon sont aussi intéressants.
- Par le biais de stages, de services civiques ou d’alternance, permettant à un coût réduit, d’accueillir une expertise et un regard extérieur au sein de sa collectivité.

Qui contacter sur son territoire ?
- Commencer par les établissements de son territoire comme les universités et les grandes écoles. Vous pouvez trouver les contacts dans les annuaires de la Conférence des grandes écoles ou de France Universités.
- Vous pouvez aussi entrer via les services Sciences & Sociétés et/ou les Centres de culture scientifique, technique et industrielle quand les contacts sont connus (plutôt pour des sollicitations grand public).
- Le pôle affaires publiques du CNRS (affaires-publiques@cnrs.fr) a pour rôle de mettre en relation expertise scientifique et actualité/besoin/commande politique. Sa mission pour l’expertise scientifique peut dresser l’état des connaissances sur une question donnée relative à un enjeu sociétal fort.
- L’aide à la décision proposée par le Muséum National d’Histoire Naturelle.
- Les organismes de recherche via les délégations régionales du CNRS, de l’INRAE, de l’Inserm

Aller plus loin : Les ressources existent et sont très complètes!
- Les recommandations de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat :
https://www.senat.fr/rap/r23-087/r23-0873.html#toc47 - Les conseils de la “27ème région” : https://www.la27eregion.fr/comment-mieux-travailler-avec-la-recherche-quand-on-est-une-collectivite/
- Une boîte à outils pour bâtir les partenariats entre recherche et territoires : https://inet.cnfpt.fr/sites/default/files/2020-07/boite_a_outils_partenariat_recherche_territoire.pdf
- Pour en savoir plus :
https://www.lagazettedescommunes.com/708924/financer-la-recherche-que-des-avantages-pour-les-collectivites/